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J’ai relu Batouala. De longues années après. Cela a été une désillusion. Je me suis aperçu que la première fois, je ne l’avais pas lu. Pourtant, je disais que je l’avais lu. Combien d’autres livres ai-je parcourus ainsi sans entrer en eau profonde ? La première lecture de Batouala demeure une arnaque ; arnaque contre mon propre esprit. J’étais resté en hauteur comme l’écume. Je devais être en classe de 4è. Et comme mon objectif c’était de feuilleter le maximum de livres, alors je parcourais, je voyageais à travers les paysages des bouquins ! Lire sans comprendre. La compréhension était une appréhension dont je me gaussais royalement. Il fallait juste ouvrir l’ouvrage, sentir l’odeur du papier qui fait dui bien à l’esprit, rencontrer les mots, de nouveaux pour mon vocabulaire surtout, caresser les lexies, leur conter fleurette, flirter avec elles, leur faire l’amour… On m’avait dit « si tu veux être fort, il faut lire ». ‘‘Être fort’’ signifiait ‘‘savoir s’exprimer correctement…’’. Mais, je comprends avec le temps, notamment avec le deuxième déchiffrage des ouvrages que j’avais survolés que la lecture nous rend forts et qu’être fort ne concerne pas que le langage. La lecture nous muscle le cerveau, notamment les zones qui servent à opérer le distinguo entre la discursivité et l’imbécilité. J’en connais qui lisent tous les jours, mais qui ont du mal avec la parole. La lecture, certes permet d’améliorer l’expression, mais elle fait bien plus. C’est elle qui est censée nous distinguer des imbéciles !

En relisant Batouala, un essaim de questions a envahi la ruche de mon entendement. Des piqûres sévères ont mis en éveil tous mes sens. Puis le miel a coulé abondamment. René Maran aussi, c’est l’homme hein, me suis-je dit, dans ce parler ivoirien qui, à ce moment-là, ne pouvait que rester enfermé dans la geôle de mes viscères. Ce livre est un véritable roman, dans tous les sens du terme. J’ai rarement lu un roman aussi fouillé, où l’espace et le temps sont si bien délimités, où les personnages sont savamment construits, où le foisonnement n’est pas empoisonnement pour l’esprit.

Cette seconde lecture de Batouala m’a posé en observateur féru, ému, ébloui et séduit devant la langue d’un romancier qui sait l’art du dire. Ce roman est un film, vous le visualisez lorsque vous le lisez ! Jusqu’à présent, je ne parle pas de l’histoire ! Cela peut paraître étonnant. Mais, à celui qui me lit, sache que ceci n’est pas un compte rendu ordinaire de lecture. C’est un texte qui me passe par la tête et que j’ai bien voulu projeter sur l’écran de mon smartphone, le temps d'un petit voyage. Je n’évoque pas l’histoire de Batouala, personnage éponyme, polygame, chef de tribu, qui se fera prendre sa femme aimée par son Bon petit. Je ne fais pas cas de cette histoire de nègres hospitaliers et qui se font maltraiter sur leurs propres terres par des blancs venus sur des voiliers avec la Bible à la main. La cruauté de ses étrangers qui possèdent l’arme à feu (le nucléaire presque) et qui font la pluie et le beau temps. Je ne m’intéresse pas trop à cette histoire que l’on a entendue et lue de presque toutes les lèvres, dans presque tous les livres des Africains, notamment avec les négritudiens. Parce que connaître une histoire et la raconter n’a rien d’exceptionnel. Savoir narrer est ce qui fait la différence entre un écrivain et un auteur. Et sur ce point, j’en demeure d’accord avec Tiburce Koffi. J’avais envie d’écrire « René Maran est un écrivain, un vrai. » Mais, ce serait déformer le sens du mot écrivain. Parce qu’il ne peut exister de faux écrivains. Soit vous l’êtes ou non. Point.

À propos de ce livre de Maran, il est marrant que le texte ait été conspué à sa sortie, critiqué violemment par de pseudo-critiques surtout pour l’histoire ; et malgré tout, Batoula remporte le Goncourt en 1921. C’est pour cela que je ne vous parle pas de l’histoire. Car, si l’on reste focus sur l’histoire, on manque l’essentiel : la langue. Oui, un écrivain se reconnaît par sa langue léchée qui sait lécher le lecteur dans le sens du poil, en le décoiffant parfois, mais toujours avec du plaisir au bout du compte ; violent orgasme. Batouala donne un grand frisson et électrocute par un spasme voluptueux !

Puis, il m’est venu à l’esprit ceci : Je ne suis pas encore un écrivain si le livre de Maran doit être l’aune à laquelle l'on doit prendre la mesure d’un roman. Puis, à la lumière de tous les romans que j’ai lus, principalement ceux d’ici (Côte d'Ivoire), ¾  de la jeune génération  ¾  j’ai eu un ouf de soulagement (rires) parce qu’il y aurait très peu d’écrivains chez nous. Je ne suis donc pas seul, me suis-je dit pour me soulager (rires). Le sourire s’est très vite cassé sur mes lèvres en bile. Il est devenu amer. Car, on ne doit pas rire d’une telle chose. Il est triste d’avoir mille candidatures au titre d’écrivain (romancier) et très peu d’élus, peut-être un pourcent (001%).

Toutefois, j’ai trouvé une hanse pour m’accrocher : le Travail. Il nous permet de briser toutes les barrières. Il faut travailler. Encore et encore. Mettre l’injonction de Césaire au fronton de nos demeures : Je demande beaucoup aux hommes, mais assez aux nègres.  Nous devons travailler deux fois que les autres. Ne jamais nous contenter de compliments truqués que nous distillent les réseaux sociaux en longueur de journées. Les réseaux sociaux sont dans leur rôle de trompe-l’œil, c’est à nous de re-connaître le mauvais œil.

 

 

Tag(s) : #Critique
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